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Agnès Pannier-Runacher : « Les agriculteurs ne sont pas d'affreux pollueurs »

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Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture, livre les principales annonces du plan Ecophyto dévoilé lundi et qui sera scruté à la loupe par le monde paysan. Au ministère de l'Agriculture, à Paris, jeudi. (Crédits : © LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI POUR LE TRIBUNE DIMANCHE)

LA TRIBUNE DIMANCHE- Que contient votre plan ?

AGNÈS PANNIER-RUNACHER- Le plan Ecophyto 2030, c'est trois éléments clés. Tout d'abord, une ambition forte, inchangée par rapport à sa version d'octobre : celle de réduire de 50% l'utilisation des produits phytosanitaires par rapport à la période 2011-2013.  Ensuite, des moyens financiers inédits : plus d'un milliard d'euros cumulés, soit 250 millions d'euros par an entre 2024 et 2026 pour la recherche de solutions alternatives, auxquels s'ajoutent 300 millions d'euros venant du plan d'investissement "France 2030".

Une nouvelle méthode enfin avec deux principes d'actions. Premièrement, ne pas

placer les agriculteurs face au fait accompli de décisions prises depuis

Paris et qui fragilisent des filières. Il faut faire confiance aux agriculteurs engagés

dans la transition agroécologique. Ils sont les premières victimes du dérèglement

climatique et de la baisse des rendements liée à l'effondrement de la biodiversité ; nous devons les accompagner. Deuxième élément de méthode : la nécessité d'une

plus grande harmonisation des normes françaises et européennes afin d'éviter des

situations de concurrence déloyale.

Estimez-vous que sur l'effondrement de la biodiversité il y a autant de prise de

conscience par les agriculteurs que sur le changement climatique?

Selon ce que j'ai pu constater lors des visites que j'ai effectuées depuis ma prise de

fonctions, la prise de conscience sur le dérèglement climatique est généralisée. C'est

même un traumatisme pour les agriculteurs ; chaque année amène son lot de gels

tardifs, grêles, inondations, sécheresses avec des pertes de rendements

croissantes. La fragilité de la biodiversité, elle, n'est peut-être encore qu'un sujet de

préoccupation.

Tout en maintenant l'ambition, dans Ecophyto 2030 vous modifiez l'indicateur utilisé pour mesurer la baisse de l'utilisation des pesticides. Selon les défenseurs de l'environnement, cela rend l'atteinte de l'objectif plus facile. S'agit-il d'un cadeau aux agriculteurs en colère au mépris de l'environnement ?

L'indicateur que nous retenons désormais, le HRI1 ("indicateur de risque

harmonisé"), est utilisé par les 27 pays européens. L'Union européenne le calcule

depuis 2018. Et il prend en compte la nocivité des produits. Je ne dis pas que le

HRI1 est parfait, mais il a le mérite d'exister. J'ai d'ailleurs demandé à l'Institut

national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) de

travailler avec ses homologues européens à faire des propositions pour améliorer, le

cas échéant, le HRI1. J'attends un premier retour d'ici la fin de l'année. C'est en Européens qu'on avancera. Nous avons déjà supprimé la quasi-totalité des produits classés comme dangereux depuis 2018. Le chemin restant passera nécessairement par des changements de pratiques et de l'innovation. Je ne vois pas où est la facilité ici.

Pourrait-on donc aboutir à un indicateur fusionnant les bons côtés de chacun ?

Notre objectif est de privilégier les phytosanitaires ayant une efficacité maximale et

une empreinte minimale sur la santé et l'environnement, quand c'est absolument

nécessaire. J'ai une double boussole. La première, c'est la science: quel impact un

phytosanitaire a-t-il réellement sur la santé et sur l'environnement et quelles

conditions d'usages pour le limiter ? La deuxième, c'est l'approche bénéfices/risques.

À titre de comparaison, on limite l'utilisation d'antibiotiques du fait de leurs effets

secondaires et des risques d'antibiorésistance mais dans certaines situations on en a

vraiment besoin.

Selon les défenseurs de l'environnement, le HRI1 va toutefois pénaliser la filière bio, qui souffre déjà. Que répondez-vous?

La filière bio peut au contraire nous aider à trouver des solutions en agriculture conventionnelle ou raisonnée. Évitons aussi la caricature. Ce n'est pas parce qu'une molécule est naturelle qu'elle n'a pas d'impact sur l'environnement. A titre d'exemple, l'Anses travaille sur l'utilisation du cuivre pour le traitement des sols, pour évaluer sa balance bénéfices-risques. Revenons toujours à la science. Et nous continuerons à soutenir le secteur du bio.

Qu'est-ce qui vous fait espérer qu'on atteindra les objectifs d'Ecophyto 2030, alors

que la mise en œuvre des plans antérieurs a été plutôt décevante ?

Le dernier plan Ecophyto de 2018 a produit des effets. Par rapport à 2015,

l'utilisation des phytosanitaires les plus dangereux, classés comme ayant un impact

avéré sur la santé et l'environnement, a baissé en France de 95%. Les

phytosanitaires classés comme ayant un impact potentiel mais pas avéré ont, eux,

diminué de 36% depuis 2016.  Ce bilan c'est aussi celui des agriculteurs. Nous

devons continuer dans cette direction ! Mon objectif est d'anticiper de nouvelles connaissances scientifiques qui conduiraient à remettre en question l'autorisation de molécules présentant des indications de dangerosité, mais dont les bénéfices-risques sont aujourd'hui évalués positivement. 'Nous devons nous préparer à nous en passer. Je veux donc accélérer la recherche de solutions alternatives et leur déploiement massif. 

Au-delà du budget, inédit, que le gouvernement consacre à cet enjeu, nous voulons

élargir cette démarche au niveau européen. Dans son discours sur l'Europe de la

semaine dernière à la Sorbonne, le président de la République a ainsi mentionné les

alternatives aux phytosanitaires comme un secteur d'investissement commun. Je

regarde aussi comment mieux travailler en direct avec les autres États membres. 

Comment assurer le ruissellement des solutions qui seront ainsi trouvées vers les

fermes?

Le 15 mars, j'ai mis en place un « Comité des solutions », chargé de faire le point sur

les différences d'accès à des produits phytosanitaires entre les agriculteurs français

et les autres agriculteurs de l'Union européenne. L'objectif est d'objectiver la

situation pour chaque type de culture et de proposer des améliorations sans changer

nos exigences environnementales. Le comité met tout le monde autour de la table

: la recherche fondamentale avec l'INRAE, les instituts techniques agricoles,

l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du

travail (Anses), les filières et les syndicats agricoles. Sur cette base, nous pouvons

décider de faciliter l'accès à des produits qui ne posent pas de problèmes

spécifiques mais qui ne sont pas distribués en France. L'Etat prend sa part en

regardant comment il peut aider le financement ou anticiper le recours à

des solutions alternatives encore en cours d'homologation. On a aussi un gros travail

à faire sur l'accompagnement et le conseil des agriculteurs.

Enfin, un principe, que Ecophyto 2030 formalise, doit guider notre action: "pas

d'interdiction sans solution". Inauguré en matière de glyphosate, il est pragmatique:

se donner bonne conscience en interdisant des phytosanitaires en France sans avoir

d'alternatives alors que ces mêmes produits sont utilisés ailleurs en Europe pour

produire des aliments que nous importons, c'est être hypocrite et se tirer une balle

dans le pied. On est perdant sur l'environnement et perdant en termes de

souveraineté alimentaire.

Un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, publié il y a une semaine, a

réaffirmé la primauté de la protection de la santé humaine, animale ainsi que de

l'environnement sur l'objectif d'amélioration de la production. Remet-il en cause ce principe, ainsi que celui de non surtransposition des normes ?

Personne ne remet en cause cette hiérarchie, surtout pas les agriculteurs qui sont

les premiers impactés pour leur santé. Mon enjeu, c'est aussi de tirer vers le haut l'ensemble de l'Europe et de ne plus avoir de pays qui dérogent à des molécules problématiques en s'appuyant sur le flou des recommandations européennes. Cela crée de la concurrence déloyale et, ni l'environnement, ni la santé humaine n'en sortent gagnants. Je souhaite qu'on puisse aller vers des autorisations communes de mise sur le marché. Aujourd'hui, les homologations pour les substances actives

sont européennes, mais les produits eux-mêmes qui les incorporent sont autorisés au niveau national, ce qui donne lieu à des écarts d'appréciation entre les différents pays. En lien avec l'Anses, qui partage cette vision, nous souhaitons que cette étape d'autorisation de mise sur le marché ait aussi lieu au niveau européen, chaque autorité sanitaire nationale faisant valoir sa vision des produits et remontant ses interrogations sur les bénéfices-risques auprès de l'autorité européenne.

En Europe, je souhaite aussi soutenir des procédures accélérées d'homologation des produits de biocontrôle, ainsi que la prise en compte des dernières innovations pour évaluer correctement des risques. Les progrès permis par l'agriculture de précision, par exemple, peuvent diminuer drastiquement la quantité de phytosanitaires utilisés et donc améliorer le rapport bénéfices-risques d'un certain nombre de molécules. Je souhaite également rendre possible l'accès aux nouvelles techniques génomiques, qui peuvent nous faire gagner plusieurs années pour répondre aux défis auxquels nous faisons face.

Ecophyto 2030 donnera-t-il lieu à un projet de loi ?

Le président de la République m'a donné comme mission de proposer un texte de loi

début juillet sur les phytosanitaires. Il visera notamment à tirer les conséquences de

l'engagement du Premier ministre de supprimer l'obligation de conseil stratégique.

J'ai demandé au Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces

ruraux (CGAAER) de faire des recommandations sur ce sujet ainsi que sur la mise

en œuvre du principe de la séparation vente/conseil sur laquelle des travaux

parlementaires proposent des évolutions intéressantes. Mon objectif est que chacun

au sein de la profession agricole (coopératives, exploitants, centres techniques,

organismes de recherche) ait intérêt à réduire l'utilisation les phytosanitaires.

Entretemps, le projet de loi d'orientation agricole a déjà commencé son examen à l'Assemblée nationale. Pourquoi avez-vous choisi de ne pas inclure Ecophyto 2030 dans ce texte ?

Précisément en raison de la mission confiée au CGAAER. On ne rédigera pas le texte avant d'avoir ses conclusions. Et on souhaite que ce travail soit fait en lien avec l'ensemble des parties prenantes, qu'il s'agisse des acteurs du conseil, des organisations environnementales ou des représentants de la profession agricole.

Craignez-vous que ces examens législatifs soient pollués par les élections

européennes ?

Aujourd'hui, le projet de loi d'orientation agricole répond clairement à des demandes

de la profession agricole, puisqu'il porte sur des sujets largement partagés: la

simplification, l'installation de nouveaux agriculteurs et la transmission des

exploitations agricoles, la reconnaissance de l'objectif de souveraineté agricole et

alimentaire et du fait que l'agriculture est une activité d'intérêt général majeur. Ils

correspondent au travail que nous avons mené avec les organisations professionnelles agricoles - une approche par rapport à laquelle nous sommes très à l'aise. Je serais surprise que nos oppositions - il est vrai pas avares d'incohérences - nous expliquent que la souveraineté alimentaire est un problème, que l'agriculture n'est pas d'intérêt général majeur, que ce n'est pas opportun de garantir aux nouveaux agriculteurs des conditions d'installation correctes ou de simplifier les procédures.

Sur la souveraineté et l'importance de la protection de l'environnement, des visions  radicalement différentes peuvent toutefois s'opposer...

Je ne connais pas d'autres secteurs où les enjeux environnementaux ont autant d'impact sur l'activité économique. Le dérèglement climatique est l'une des causes fondamentales de la crise que l'agriculture traverse. On y répond en affirmant que l'agriculture est un secteur prioritaire et qu'il ne faut pas confondre bureaucratie et ambition environnementale. Je suis d'autant plus sereine vis-à-vis de nos oppositions que le président de la République a un bilan en matière environnementale. Nous avons baissé les émissions de gaz à effet de serre de 16% depuis qu'il est arrivé au pouvoir. En 5 ans, le président Hollande les a baissées de 4,8%: c'est trois fois moins. Je ne dis pas que nous faisons tout bien. Mais nous n'avons pas de leçons à recevoir de beaucoup.

Lorsque vous regardez le détail des programmes, les écologistes vous expliquent

qu'il faut se priver de tous les moyens de production pour finir par importer de pays

où les exigences environnementales sont bien moins élevées. Le Rassemblement

national, lui, dit tout et son contraire: en 2017, dans son programme, il demandait la

sortie du glyphosate et des néonicotinoïdes, et aujourd'hui il exige leur utilisation

sans limites. On voit bien qu'on n'a rien à attendre ni des uns ni des autres.

Lorsque le président de la République parlait de souveraineté en 2017, beaucoup de

commentateurs considéraient que c'était grandiloquent. Aujourd'hui, on s'aperçoit

que c'était surtout visionnaire. C'est cette vision que nous portons pour la France et

pour l'Europe, et que nous allons continuer à dérouler.

Après la rencontre, jeudi, entre le président de la République et les représentants

des agriculteurs pour discuter des "perspectives de l'agriculture française", la crise agricole est-elle clôturée ?

C'est une nouvelle phase qui s'ouvre. Mais les deux éléments fondamentaux de la

crise agricole, le dérèglement climatique d'une part, et les tensions géopolitiques

d'autre part, ne vont pas disparaître du jour au lendemain.  Le président de la République et le Premier ministre ont proposé une batterie de mesures immédiates et d'urgence pour aider nos agriculteurs à passer ce cap, au niveau européen et au niveau national. Ces mesures sont actuellement déployées. Mais dans la durée, il faut lever la tête de la copie et se poser la question de comment on construit notre agriculture à horizon 2050 : le président de la République a proposé aux organisations présentes d'engager ce travail.

La crise a néanmoins eu le mérite d'accélérer la prise de décisions utiles et de

remettre les pendules à l'heure: les agriculteurs ne sont pas d'affreux pollueurs, ils

sont au cœur des transformations écologiques. Elle a aussi permis de rappeler le

caractère central de l'alimentation et l'agriculture dans notre économie. Ce n'est pas parce que les agriculteurs ne sont que 400.000 sur le terrain qu'ils n'ont pas une

fonction essentielle et nourricière qui doit absolument être préservée.

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