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70 ans après, cet ancien parachutiste varois raconte "son" Diên Biên Phu

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Aujourd'hui âgé de 92 ans, René Hubert a participé à la bataille opposant l'armée française aux soldats vietnamiens de Hô Chi Minh. Il n'a rien oublié. Nous l'avons rencontré à La Valette-du-Var.

P.-L. P. Publié le 06/05/2024 à 10:14, mis à jour le 06/05/2024 à 10:14

Ancien parachutiste, René Hubert est un vétéran de la bataille de Diên Biên Phu qui scella la fin de la présence française en Indochine. Photo Camille Dodet

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Il n'a pas débarqué sur les plages de Normandie, ni celles de Provence pour libérer la France en 1944. "J'étais trop jeune pour participer à la Seconde guerre mondiale", lâche René Hubert, depuis la chambre qu'il occupe à l'Ehpad des Gueules Cassées, à La Valette-du-Var.

Ce nonagénaire, né en 1932 dans le village d'Hell-Bourg, sur l'île de La Réunion, est en revanche bien assez vieux pour "avoir fait l'Indo".

Il est même un ancien de Diên Biên Phu. Un vétéran de la sanglante bataille qui scella la fin de l'Indochine française, et dont on célèbre cette année le 70e anniversaire.

"Le 21 novembre 1953, quand on est monté dans le Dakota, l'avion qui allait nous parachuter sur Diên Biên Phu, le moniteur nous a fait chanter pour nous changer les idées".

Assis sur son lit, René Hubert, chemise bleu ciel et cravate rayée, est du genre direct. Les présentations sont à peine faites que, déjà, il se lance dans le récit de la bataille de Diên Biên Phu telle qu'il l'a vécue. Comme s'il avait peur d'oublier. Aucun risque: s'il lui arrive parfois de répéter la même séquence, sa mémoire reste précise.

Des ravitaillements problématiques

Ancien du 1er Bataillon de parachutistes coloniaux (une photo à l'entrée de sa chambre, le montrant un béret rouge sur la tête, en atteste), René Hubert a donc fait connaissance avec Diên Biên Phu - "une plaine, pas une cuvette", insiste-t-il - près de quatre mois avant la première offensive Viêt Minh, le 13 mars 1954.

Quatre mois au cours desquels il aura vu les conditions des soldats français se détériorer sous la pression de l'ennemi. "Diên Biên Phu se trouve à 300km d'Hanoï. Tout le ravitaillement des forces françaises, qui ont compté plus de 11.000 hommes, se faisait par avion. Mais la précision des largages de nourritures et de munitions a rapidement diminué au fur et à mesure que les tirs de la DCA vietnamienne se sont faits plus intenses. Très vite, on a dû vivre sur nos réserves", raconte René Hubert.

Même s'approvisionner en eau est devenu un problème. "Au milieu de la plaine de Diên Biên Phu et des positions françaises coulait la rivière Nam Youn. Équipé de deux casques lourds, chaque soldat allait y puisait de l'eau. Les Viets s'en sont aperçus et nous tiraient dessus. Il a donc fallu creuser des tranchées pour pouvoir retourner s'approvisionner à la rivière. Le moral des troupes n'était pas très bon".

Des conditions de détention très dures

Et il ne s'est pas amélioré lorsque les premiers assauts ennemis ont été lancés mi-mars. Le rapport de force entre l'armée française et le Viêt Minh est très clairement en faveur de ce dernier qui a réussi à masser quelque 150.000 soldats, "tous équipés de kalachnikov", autour de la plaine de Diên Biên Phu.

Faute de ravitaillement, les Français doivent rapidement économiser leurs munitions. Une situation que René Hubert résume en ces termes: "une cartouche était une cartouche".

Après 57 jours et 57 nuits de combats, "parfois au corps à corps, à la baïonnette", Diên Biên Phu tombe le 7 mai 1954 en fin d'après-midi. René Hubert, comme de très nombreux camarades, est fait prisonnier. Commence alors une longue marche de… 600km.

"Pendant 31 jours, on a marché, pieds nus pour éviter qu'on s'évade, pour rejoindre les camps de prisonniers. Lorsqu'un camarade mourait en chemin, on déposait son cadavre en bord de piste, sans même l'enterrer. "Le ciel va faire son travail", nous disaient les Bodois, les soldats vietnamiens", raconte René Hubert.

Et d'ajouter: "quant aux conditions de détention, contrairement aux déclarations des Viets, on n'a rien vu de la clémence d'Hô Chi Minh. Les camps de prisonniers étaient de véritables camps de concentration. Ceux qui tombaient malades mourraient (1)".

Des cauchemars encore aujourd'hui

Ancien parachutiste, René Hubert est un vétéran de la bataille de Diên Biên Phu qui scella la fin de la présence française en Indochine. Photo Camille Dodet.

Un récit froid. Presque chirurgical. Il faut insister, le mettre en confiance pour que le vétéran se livre davantage. René Hubert raconte alors les frères d'armes sommairement inhumés qu'il faut à nouveau enterrer après que leurs cadavres en décomposition ont été mis au jour par la mousson. "On n'avait même pas d'eau pour se laver. Au retour au camp, on empestait la mort".

À sa libération le 16 octobre 1954, bien après les accords de Genève signés au mois de juillet, René Hubert ne pèse plus qu'une trentaine de kilos!

En veut-il pour autant aux Vietnamiens? "Non, ils souhaitaient leur indépendance et se sont battus pour. Nous, on a défendu les valeurs de la France".

Un engagement qui lui vaudra de nombreuses décorations, et même d'être promu au grade de commandeur de la Légion d'honneur. Mais aussi des cauchemars!

"Il m'a fallu plusieurs années pour me reconstruire, guérir de mes blessures psychiques. Encore aujourd'hui, je me réveille la nuit en repensant à l'Indochine".

1. Sur les 36.979 prisonniers français depuis 1945, à peine 10.754 furent rendus, dont 6.132 furent hospitalisés!

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