< Back to 68k.news FR front page

Le « mensonge » de l'État pour freiner la sortie des pesticides

Original source (on modern site) | Article images: [1]

Un indicateur contesté, des alternatives sans obligation de résultat... Le nouveau plan de réduction des pesticides du gouvernement vient « donner satisfaction » à la FNSEA, dénoncent des écologistes.

Un retour en arrière « de quinze ans ». C'est ainsi que l'association de lutte contre les pesticides Générations futures décrit le nouveau plan Écophyto du gouvernement. Dévoilé dans Le Parisien et sur France Info le 3 mai, le plan de réduction des pesticides du gouvernement doit officiellement être présenté le 6 mai. Baptisé Stratégie Écophyto 2030, il met en rage les défenseurs de l'environnement.

La révision de ce plan avait été amorcée il y a plus d'un an. Une première version avait été mise en consultation fin octobre 2023. Puis le plan avait été mis en « pause » pendant les contestations agricoles au début de l'année. La nouvelle mouture — que Reporterre a pu consulter — était donc très attendue. Cette fois-ci, pas de consultation, « on la découvre en même temps que vous », regrette le porte-parole de Générations futures, François Veillerette. L'association dénonce un plan qui vient avant tout « donner satisfaction » au syndicat agricole dominant, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles).

Un nouvel indicateur contesté

Le ministre de l'Agriculture défend une ambition intacte, avec toujours le même objectif de réduction, d'ici 2030, de 50 % de l'usage des pesticides par rapport à la moyenne des années 2011-2013. Un « mensonge » pour Générations futures, puisque la façon de mesurer ce résultat va changer. Le plan confirme que l'indicateur de référence sera désormais celui utilisé au niveau européen, le HRI1, et plus celui qui était utilisé depuis les débuts d'Écophyto il y a quinze ans, le Nodu (nombre de doses unité). Un choix qui correspond effectivement à une demande de la FNSEA et du lobby des pesticides Phyteis.

Le HRI1 pondère l'usage des pesticides par leur dangerosité. Cela permettra d'avoir un indicateur harmonisé avec nos voisins européens et de « prioriser les molécules les plus dangereuses », défend le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, dans Le Parisien.

Cette pondération par la dangerosité est mal faite, contestent les associations écologistes et les experts du comité scientifique et technique du plan Écophyto. François Veillerette défendait le Nodu dans Reporterre : « Il cherche clairement à évaluer l'évolution de l'usage, donc de la dépendance du système agricole aux pesticides. S'il n'y a pas de baisse du Nodu, il n'y a pas de baisse de la dépendance. » Alors que le plan Écophyto n'a jamais réussi à atteindre ses objectifs, le changement d'indicateur va permettre d'afficher des résultats beaucoup plus encourageants. Générations futures a ainsi calculé que le HRI1 mesure une baisse de l'usage des pesticides de 32 % entre 2011 et 2021. Alors que le Nodu constate sur la même période une hausse de 3 %…

De l'argent pour les alternatives

Le ministre de l'Agriculture dit également inaugurer une nouvelle méthode. La priorité du ministère est maintenant d'anticiper les interdictions. « Certaines molécules peuvent à terme disparaître, car elles ne seront pas rehomologuées au niveau européen. Nous cherchons donc immédiatement des solutions pour ne pas ensuite nous retrouver dans une impasse », a expliqué Marc Fesneau. Pour cela, huit « task force filière » ont été mises en place (grandes cultures, fruits et légumes, vigne, horticulture, semence, etc.). Elles vont bénéficier de 146 millions d'euros par an, pour la recherche d'alternatives à ces pesticides bientôt interdits, et de 50 millions d'euros pour l'achat de nouveau matériel agricole.

« Mettre de l'argent pour développer des alternatives, c'est nécessaire mais pas suffisant, observe François Veillerette auprès de Reporterre. On l'a vu avec les betteraves. On a trouvé des alternatives aux néonicotinoïdes. Mais il a été répondu que cela coûte trop cher, que le rendement est moins bon. Forcément, on ne peut trouver quelque chose d'aussi efficace, puisque les néonicotinoïdes, ça tue tout ! Donc il faut aussi une obligation de résultat. »

« Pas d'interdiction sans solution »

L'autre hic est que ces « task force filière » ne seront pilotées, selon la nouvelle version d'Écophyto, que par le ministère de l'Agriculture. Exit les autres ministères concernés, comme ceux de la Recherche, de l'Environnement ou de la Santé, qui avaient leur place dans la version antérieure d'Écophyto 2030. « Il y aura un tête-à-tête entre les filières et le ministère de l'Agriculture, on peut craindre le pire », s'inquiète le porte-parole de Générations futures.

Le gouvernement, lui, se félicite de mettre en œuvre le dicton « pas d'interdiction sans solution », défendu par la FNSEA. Mais cela n'a pas de sens juridique, estime Générations futures, qui rappelle que selon la Cour de justice de l'Union européenne, pour les pesticides, « l'objectif de protection de la santé humaine et animale ainsi que de l'environnement » prime. Un pesticide dangereux peut être interdit, même en l'absence d'alternative.

Pas de transparence sur l'usage des pesticides

Le nouveau plan confirme également que le « conseil stratégique » délivré aux agriculteurs pour les aider à faire évoluer leurs pratiques et utiliser moins de pesticides est suspendu. Une nouvelle mouture est attendue pour 2025. Sa suppression avait été demandée par la FNSEA et confirmée par Gabriel Attal début mars. « Refuser ce type de conseils, c'est comme refuser la formation continue quand on est médecin », commente François Veillerette.

L'écologiste dénonce également un recul sur la centralisation des données concernant l'usage des pesticides. Chaque agriculteur doit tenir un registre d'épandage des pesticides. « L'idée d'Élisabeth Borne était de centraliser ces données via une interface simple pour les agriculteurs, et de les mettre à disposition des chercheurs et du public », dit François Veillerette. Il n'en est plus question désormais.

Enfin, le plan représentera peut-être, après « étude de faisabilité », une avancée pour les riverains ou autres personnes exposés de manière « répétée et prolongée » aux pesticides. Il prévoit « la possibilité de mettre en œuvre et de financer un dispositif d'indemnisation » pour ceux qui développeraient une maladie liée aux pesticides.

Pas assez pour compenser le reste. « Le gouvernement de Gabriel Attal a fait des choix : celui d'enterrer le projet de réduire fortement la consommation de pesticides en France, celui de tout faire pour retarder le plus possible le retrait de certains pesticides dangereux », dénonce Générations futures. Alors que la France était vue en Europe comme précurseure dans la lutte contre les pesticides, « elle rejoint les pays qui mettent tout en œuvre pour que rien ne change », poursuit l'association.

Marc Fesneau conteste dans Le Parisien : « On continue à mener une bataille européenne pour la sobriété des usages des phyto. Mais si la France interdit seule une molécule qui ne l'est pas chez nos voisins, nos agriculteurs perdent un moyen de protection pour leur culture et notre production diminuera. »

< Back to 68k.news FR front page